Médias sous tension : redéfinir l’information dans un écosystème en mutation

Autrefois conçu comme un lieu de mise en commun des faits, l’espace médiatique est aujourd’hui tiraillé entre trois dynamiques majeures : les impératifs de rentabilité, la course à l’attention et l’émergence de nouvelles façons de consommer l’information. Ces forces combinées bouleversent le rôle traditionnel du journalisme et redessinent les contours de l’espace public. Alors, comment continuer à s’informer de manière claire, rigoureuse et utile dans un paysage aussi mouvant?

La rentabilité au cœur du séisme médiatique

Les médias, jadis régulateurs du débat collectif, traversent une crise économique et identitaire. L’effondrement des revenus publicitaires, la gratuité de l’information en ligne, l’essor des plateformes numériques et la dépendance aux indicateurs de performance immédiate ont ébranlé leurs fondations. Le clic est devenu une condition de survie.

La rentabilité, autrefois en arrière-plan, oriente désormais les choix structurants: formats, fréquences, angles, ressources. L’équilibre entre rigueur journalistique et logique de marché devient de plus en plus difficile à maintenir. Cette pression engendre des dérives plus subtiles, mais bien réelles. On assiste à une montée du populisme médiatique, incarnée notamment par la prolifération d’« experts » invités. Leur présence, censée crédibiliser l’analyse, dérive souvent vers une opinion plus personnelle que fondée.

Le cadre médiatique valorise la prise de position rapide, parfois tranchée, au détriment de la nuance. Cette dynamique répond à une double logique : remplir les grilles horaires des chaînes en continu et proposer un contenu engageant, clivant, facilement partageable. Même dans la presse écrite, où les pages opinions ont toujours existé, la frontière entre analyse, information et divertissement devient de plus en plus floue.

Ce qui pourrait encore sauver le journalisme, le vrai, ce sont ces reporters capables de sortir des primeurs: des journalistes d’enquête qui vérifient, contextualisent, et redonnent au métier sa fonction démocratique. Leur offrir plus d’espace, de ressources et de reconnaissance devient essentiel.

Il serait aussi pertinent de s’interroger sur le sort du journalisme de terrain. À mesure que les formats d’opinion prennent le dessus, le reportage recule, faute de moyens et d’auditoire. Le lecteur, de plus en plus, s’en remet à des chroniques ou éditoriaux, au détriment d’une information rigoureuse qui l’aiderait à se forger une opinion éclairée.

La course à l’attention : informer sans ennuyer

Dans ce contexte, capter l’attention devient un impératif. Informer, oui, mais sans ennuyer. Simplifier, vulgariser, dramatiser parfois. L’infotainment (mélange d’information et de divertissement) s’impose comme une réponse aux exigences de l’instantané.

Il transforme les choix éditoriaux: titres accrocheurs, formats courts, contenus viraux. Parfois, la frontière entre journalisme et contenu promotionnel se brouille, ce qui fragilise la confiance du public. L’information devient un produit concurrentiel, en lutte avec les influenceurs, les créateurs de contenu et les plateformes algorithmiques.

Cela soulève des enjeux fondamentaux. Cette mise en spectacle de l’information ne traduit-elle pas une marchandisation de notre attention collective? Ou faut-il y voir une adaptation aux nouveaux usages, portée par TikTok, les balados, les formats courts? Le paysage a changé, c’est un fait. Et avec lui, les modalités d’engagement.

Des contenus plus accessibles, mais plus fragmentés

Les transformations médiatiques modifient aussi notre manière de consommer l’information. Elle s’insère dans nos routines en marchant, en cuisinant, entre deux messages, et se consomme souvent en parallèle d’autres tâches.

Le balado incarne bien cette logique. Son format souple s’adapte au rythme de nos vies. Il permet d’accéder à une grande variété de contenus, n’importe où, n’importe quand. Mais cette flexibilité transforme notre rapport à l’information: l’écoute devient fragmentée, l’attention diluée, la mémorisation partielle.

Les réseaux sociaux, les vidéos courtes, les infolettres ou les contenus personnalisés suivent la même logique: plus d’accessibilité, mais aussi plus de dispersion. L’information devient un flux morcelé, algorithmique, et perd peu à peu son ancrage commun. Ce changement soulève une question essentielle: comment maintenir une culture de l’information partagée dans un contexte où chacun consomme à sa manière?

Repenser notre rapport collectif à l’information

Face à autant de bouleversements, il serait tentant de blâmer les médias. Mais ce serait une lecture réductrice. Car ils essaient, souvent avec des ressources limitées, de rester pertinents dans un monde qui évolue sans cesse. La véritable question est celle de l’équilibre : comment informer de manière responsable dans un contexte aussi instable? Quelques pistes méritent d’être posées, collectivement:

  • Clarifier davantage les distinctions entre nouvelle, analyse et opinion. Par exemple, en créant des balises visibles et compréhensibles.
  • Inviter les chroniqueurs à s’appuyer sur des sources plus solides.
  • Donner plus de place aux journalistes dans les segments d’analyse : ceux qui enquêtent et vérifient devraient participer à la mise en perspective des faits.
  • Envisager un sommet sur la transformation médiatique, réunissant médias, chercheurs, citoyens et institutions.
  • Et pourquoi ne pas créer une école publique du journalisme, ou instaurer un certificat, une accréditation?

La transformation médiatique actuelle n’est ni entièrement subie ni entièrement voulue. Elle reflète un univers en redéfinition. Et si l’on souhaite que l’information demeure un bien commun, il faudra repenser les fondations de notre écoute collective.

Rédigé parSerge VallièresDirecteur principal, Communication d'entreprise
Rédigé parSimon RichardChargé de projets

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