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Comment le NPD peut-il surmonter le « blues» orange?

Comment le NPD peut-il surmonter le « blues» orange?
Rédigé par
Jeffrey Ferrier

Jeffrey Ferrier

Que faudra-t-il pour faire bouger l’aiguille? C’est la question que Jagmeet Singh et le Nouveau Parti démocratique doivent se poser alors que la campagne électorale fédérale entre dans son dernier droit.

Le chef du NPD a pourtant mené une campagne presque sans faille jusqu’à maintenant. Son lancement a été jugé comme le meilleur de tous les partis. Il s'est démarqué et a laissé une impression favorable dans les débats des chefs. Sa vision centrée sur les besoins des gens ordinaires plutôt que ceux des riches a énergisé la base du parti. Ses réponses sur les enjeux de racisme et d’inégalité ont été bénéfiques pour son image, et augmenté l’appui de son leadership par les électeurs progressistes.

Malgré tout, les sondages montrent que le NPD reste bloqué autour de 14 % dans les intentions de vote, et l’élection du 21 octobre approche à grands pas.

La vérité, pour le NPD, est que cette campagne a beaucoup plus en commun avec celle de 2004 – la première de Jack Layton à la tête du parti – qu’avec la tentative ratée de Thomas Mulcair d'être élu comme premier ministre en 2015. Réalistement, le but de la présente campagne n’a jamais été pour le NPD de former le gouvernement. L’objectif est plutôt pour le parti et son nouveau chef de s’imposer comme une force politique viable au pays. Et si les chiffres penchent en leur faveur, d’avoir une influence sur un éventuel gouvernement minoritaire.

Cela demeure un objectif ambitieux pour le NPD. Le parti est à risque de retomber au niveau de parti marginal, et pourrait perdre une bonne partie de son caucus. La présente élection semble être plus une lutte pour la pertinence : la survie du parti même est en jeu.

Les problèmes du NPD étaient bien connus avant même le début de la campagne. Son statut au Québec s’annonçait déjà fragile. L’audace de choisir un Sikh portant le turban comme chef de parti allait inévitablement causer des remous dans une province où la laïcité est perçue comme une composante clé de l’identité collective. Une cassure pointait à l’horizon, sans égard au charisme de Jagmeet Singh et à la sincérité de ses préoccupations pour le Québec. Mais cela a aussi représenté un facteur ailleurs au pays, alors que plusieurs Canadiens ont affirmé ne pas vouloir voter pour quelqu’un portant le turban. La popularité de Justin Trudeau au sein de l’électorat progressiste demeure aussi vive. Bien que plusieurs électeurs libéraux ont exprimé leur déception à l’endroit du bilan de Justin Trudeau en tant que premier ministre, peu ont exprimé une réelle colère, et la plupart semblent enclins à lui donner quatre ans de plus pour terminer ce qu’il a commencé.

Jagmeet Singh, avec sa jeunesse, son charisme, son attrait pour les minorités visibles et son expérience acquise à Queen’s Park, devait être en position de rivaliser avec Justin Trudeau. Bien que le chef du NPD ait mené une bonne campagne et ait très bien fait dans les débats, cette occasion ne s’est pas matérialisée. Il n’y a pas de vague orange en vue cette fois-ci, les coffres du parti sont désespérément vides, et il ne reste que peu de temps pour remédier à la situation.

Le principal facteur expliquant cette chute est le fractionnement de la coalition qui avait porté la vague orange de 2011. Ses principales composantes se sont tournées vers d’autres véhicules politiques :

  • Au Québec, les souverainistes mous sont retournés au Bloc québécois. Peu importe les efforts déployés par les membres du caucus régional pour les garder au bercail, l’incapacité du NPD à endosser les positions de l’Assemblée nationale du Québec sur des sujets chauds comme l’immigration et la laïcité a incité une base déjà fragile à se tourner vers le Bloc québécois. Les espoirs pour le NPD de conserver ses sièges au Québec reposent sur les candidats ayant développé des racines solides dans la province, comme Ruth-Ellen Brosseau, Alexandre Boulerice et l’ancien candidat dans la course à la chefferie Guy Caron.

  • Pour la première fois dans l’histoire politique canadienne, le Parti vert est perçu comme une option valable. Les électeurs soucieux de l’environnement sont plus susceptibles de voter pour le parti qui a toujours fait de cet enjeu sa priorité, plutôt qu’un parti qui met un accent égal sur les enjeux sociaux et environnementaux.

  • Le monopole du NPD sur le soutien des travailleurs s’est étiolé. D’une part, certaines composantes du mouvement ouvrier se sont rapprochées du Parti libéral sur certains enjeux, qu’il s’agisse de la campagne publique menée par le chef d’Unifor Jerry Dias contre Andrew Scheer ou de l’endossement par plusieurs syndicats du bilan et des priorités des libéraux (notamment les infirmières qui ont appuyé leur projet de programme national d’assurances-médicaments). D’autre part, les syndicats québécois retournent au Bloc et plusieurs membres de syndicats du secteur privé semblent avoir trouver une cause commune dans les baisses d’impôts proposées par les conservateurs.

  • Tout ceci est sans parler du nombre important de députés sortants ayant choisi de ne pas se représenter, dont les piliers Nathan Cullen, David Christopherson, Marjolaine Boutin-Sweet, Linda Duncan et Murray Rankin, pour ne nommer que ceux-là. Ces parlementaires d’expérience avaient amené une crédibilité instantanée à l’équipe néo-démocrate, et auraient pu aider le parti à conserver de précieux sièges à travers le pays. Leur départ envoie un signal ambigu quant aux chances du parti.

Dans une campagne, 12 jours représentent une éternité. Beaucoup de choses peuvent changer d’ici le 21 octobre. Mais pour renverser la vapeur, Jagmeet Singh et le NPD devront convaincre les électeurs progressistes qu’ils représentent toujours le meilleur véhicule pour porter leurs espoirs, leurs préoccupations et leurs demandes. Ça ne sera pas facile. Pour y arriver, ils devront réussir à capter l’attention des Canadiens, obnubilés par les histoires sur la double citoyenneté d’Andrew Scheer et les avions de campagne de Justin Trudeau, et les convaincre de porter attention à la vision du NPD pour l’avenir du pays, centrée sur des moyens pour rendre la vie plus abordable pour les gens ordinaires.

Le dernier débat des chefs est la meilleure chance pour le NPD et Jagmeet Singh d’effectuer une percée. Le chef a bien fait lors du débat en anglais cette semaine, et place beaucoup d’espoir dans le débat en français. C’est l’occasion pour lui d’être sur un pied d’égalité avec ses opposants, et sa meilleure occasion de convaincre les Canadiens des mérites du NPD. C’est assurément une stratégie de dernier recours, et les probabilités ne sont pas en sa faveur. Influencer le vote dans un débat à six que peu de Canadiens regardent sera difficile. Mais à ce point, c’est la meilleure chance pour le parti de faire bouger les aiguilles, d’augmenter les appuis du parti, et d’obtenir un résultat positif lors de l’élection.

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Jeffrey Ferrier était vice-président au Cabinet de relations publiques NATIONAL