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Le débat sur l’environnement et l’énergie qui définira l’élection fédérale 2019

Pipeline
Rédigé par
Jeffrey Ferrier

Jeffrey Ferrier

La célèbre phrase « it’s the economy, stupid » (c’est l’économie, idiot), lancée en 1992 par Jim Carville, alors chef de campagne de Bill Clinton, occupe une place spéciale dans l’imaginaire politique. Cette phrase, d’une franchise implacable, nous rappelle que les électeurs basent avant tout leurs décisions politiques sur l’impact qu’elles auront sur leur portefeuille, et sur leur capacité à assurer des conditions de vie décentes à leur famille.

Bien que criante de vérité, cette phrase offre un cadre plutôt simpliste pour analyser les principaux enjeux de l’économie canadienne, tels la gestion durable des ressources naturelles dont elle dépend, ainsi que le partage des bénéfices et les relations avec les communautés et les Premières Nations sur lesquels elle repose. En 1992, la menace que représentent les changements climatiques semblait moins urgente, quoiqu’ayant une certaine médiatisation avec la signature des Conventions de Rio. Près de 30 ans plus tard, plusieurs opineraient plutôt « it’s about the future of life on this planet, stupid » (c’est l’avenir du vivant sur cette planète, idiot).

Les tensions qui existent actuellement entre ceux qui voient les changements climatiques comme une urgence nécessitant des actions immédiates et drastiques, et ceux qui préfèrent encourager l’exploitation des ressources naturelles du Canada pour le bien de l’économie ont été au cœur des débats sur la scène politique canadienne au cours des quatre dernières années, et tout porte à croire qu’elles occuperont une place centrale dans l’élection de cet automne.

Le compromis, ou l’art de ne plaire à personne

En 2015, le premier ministre Justin Trudeau martelait que l’environnement et l’économie pouvaient marcher main dans la main. Ce message a trouvé écho auprès des électeurs inquiets de la menace que représentent des changements climatiques, mais aussi auprès des électeurs préoccupés par leur capacité à subvenir aux besoins de leur famille, et de ceux qui espèrent économiser assez d’argent pour prendre leur retraite.

Ce message a été bien accueilli durant l’élection, puisque chacun a pu entendre ce qu’il voulait entendre. Toutefois, c’est lorsque le gouvernement a commencé à mettre son plan en action que les implications réelles sont devenues plus clairs, suscitant du mécontentement de tous les côtés. L’approbation du projet de pipeline Trans Mountain a rendu furieux les environnementalistes et plusieurs communautés des Premières Nations; pourtant, le premier ministre Trudeau avait été plutôt clair sur son intention d’approuver le projet durant la campagne de 2015.

L’imposition d’une taxe sur le carbone et le nouveau processus d’approbation réglementaire des projets énergétiques ont été jugés à la fois insuffisants par les environnementalistes, et exagérés du côté des industries de l’énergie et des ressources naturelles, de même que par ceux dont le gagne-pain dépend de l’exploitation des ressources naturelles du Canada.

Les politiques énergétiques et environnementales du premier ministre Trudeau ont eu un effet polarisant pour plusieurs électeurs – particulièrement en Colombie-Britannique et en Alberta, qui sont parmi les provinces les plus affectées par ces mesures.

Les enjeux en 2019 : le compromis sera-t-il suffisant en Ontario?

La polarisation autour de ces questions n’est pas nécessairement un problème en soi pour le premier ministre Trudeau. Le succès du Parti libéral ne dépend pas du nombre de sièges qu’il remportera en Alberta – et il ne dépend pas non plus d’une victoire éclatante en Colombie-Britannique (bien que le parti ne s’en plaindrait sans doute pas).

Le chemin de la victoire passe toutefois par le Québec et l’Ontario – où le premier ministre et ses conseillers espèrent que la voie du compromis sera suffisamment bien perçue pour permettre au parti de gagner le soutien des électeurs. C’est particulièrement vrai dans la région du 905, une région composée de banlieues en périphérie de Toronto, qui oscille habituellement entre le Parti libéral et le Parti conservateur, et où plusieurs victoires électorales se sont jouées au fil des années.

Andrew Scheer et le Parti conservateur savent très bien que le premier ministre Trudeau espère que cette voie du compromis tournera à son avantage dans le 905. De son côté, M. Scheer voudra sans doute aborder la question sous l’angle économique – non pas en parlant de création d’emploi, mais plutôt en insistant sur l’impact sur le budget des ménages.

Après tout, le 905 est une région plutôt aisée, et bon nombre d’électeurs ont placé leur régime d’épargne-retraite dans des marchés qui dépendent du secteur canadien de l’énergie. Peut-être plus important encore, la voiture demeure au cœur du mode de vie banlieusard du 905, tout comme au Québec, même si la majorité est contre le projet de pipeline. Si M. Scheer parvient à convaincre les électeurs que le plan environnemental du premier ministre Trudeau est lié à la hausse du coût de l’essence, il pourrait bien inciter ceux-ci à reconsidérer leur choix.

Colombie-Britannique : les enjeux énergétiques et la possible balance du pouvoir

C’est dans un scénario où les libéraux et les conservateurs seraient au coude à coude dans le reste du Canada que la Colombie-Britannique deviendrait alors particulièrement intéressante. La bataille pour la Colombie-Britannique, qui sera assurément centrée sur l’énergie et l’environnement, pourrait alors jouer un rôle déterminant dans l’élection.

Le pipeline Trans Mountain sera un enjeu majeur en Colombie-Britannique – dans la région, ce projet incarne un symbole du débat autour de l’équilibre à trouver entre protection de l’environnement et développement économique. Le premier ministre Trudeau espère rallier le soutien de la majorité de Britanno-Colombiens qui soutiennent le projet, et les convaincre que son approche pour équilibrer environnement et économie est la meilleure.

Compte tenu de la polarisation de l’opinion publique autour de cette question, M. Trudeau pourrait être en danger s’il ne parvient pas à maintenir son emprise sur le centre. M. Scheer et les conservateurs présenteront une position claire en faveur de la croissance, qui saura plaire aux supporteurs du projet Trans Mountain, tandis que les électeurs pro-environnement seront divisés entre le NPD de Jagmeet Singh (qui a remporté 14 sièges dans la province en 2015, malgré des pertes partout ailleurs au pays) et le Parti vert d’Elizabeth May (qui détient deux sièges sur l’île de Vancouver, et qui vise à augmenter ce nombre).

La rumeur veut que, bien au fait des défis auxquels ils font face dans la province, le premier ministre et son équipe procèdent avant l’élection à une grande annonce favorisant l’industrie du gaz naturel liquéfié (une autre industrie clé en Colombie-Britannique) et le plan de lutte aux changements climatiques CleanBC du NDP provincial. Le temps nous dira si ce geste touchera sa cible et permettra au Parti libéral de séduire les indécis, ou si les électeurs de la Colombie-Britannique se tourneront vers d’autres options.

Une occasion à saisir pour l’industrie

Bien qu’il puisse être difficile de naviguer dans les eaux politiques entourant les secteurs de l’environnement et de l’énergie, l’occasion est belle pour le secteur privé de faire preuve de leadership tant auprès des environnementalistes convaincus qu’auprès de ceux qui soutiennent activement le secteur des ressources naturelles. Pour tirer profit de cette occasion, les représentants de l’industrie doivent réfléchir à des approches innovatrices pour leur entreprise, et établir des messages clairs pour que toutes leurs parties prenantes, au sein du gouvernement et ailleurs, voient le progrès qui est accompli.

Jeffrey Ferrier était vice-président au Cabinet de relations publiques NATIONAL

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