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Élection fédérale 2021 : courtiser la classe ouvrière

Élection fédérale 2021 : courtiser la classe ouvrière

L'une des histoires les plus intéressantes de ce début de campagne électorale 2021 est la stratégie du Parti conservateur pour courtiser des électeurs contre lesquels il s'est toujours opposé : les travailleurs syndiqués. Il est d’autant plus intéressant de constater que les conservateurs considèrent visiblement qu’il s’agit d’un élément clé pour rendre le Parti plus attrayant – et pour élargir sa base d’électeurs.

La stratégie a été mise en place bien avant le début de la campagne. Par exemple, bien que cela n'ait pas nécessairement marqué les esprits à l'époque, Erin O'Toole avait publié une vidéo dans le cadre de la fête du Travail après avoir remporté la course à la chefferie de son parti à l'été 2020. Son discours ultérieur devant le Canadian Club de Toronto au cours duquel il avait déploré le déclin de l'adhésion syndicale dans le secteur privé avait également fait sourciller la classe politique.

Il y avait toutefois un objectif précis derrière ces actions : il s'agissait d'un effort conscient visant à élargir son bassin d'électeurs actuel.

La domination totale du Parti conservateur en Alberta et en Saskatchewan, bien qu'impressionnante en soi, est clairement insuffisante pour remporter des élections. Il en va de même pour ses modestes performances au Québec et en Colombie-Britannique. Pour battre les libéraux, les conservateurs savent qu'ils doivent percer en Ontario, dont les 121 sièges donnent un avantage décisif au parti qui répond le mieux aux besoins d'un électorat très diversifié.

Pivoter vers le centre

Jouissant déjà d'une solide emprise sur la droite, le Parti conservateur doit se tourner vers le centre et rallier des électeurs qui votent habituellement pour le Parti libéral et le NPD. L'histoire de la droite ontarienne avec les syndicats constitue une excellente base pour la réalisation des ambitions de M. O'Toole.

Les relations entre l'ex-premier ministre Stephen Harper et les syndicats étaient pour le moins tendues. Cette dynamique a rendu les travailleurs syndiqués très peu enclins à tendre l’oreille au discours conservateur pendant plus d’une décennie, au profit du Parti libéral.

Le Parti conservateur mené par M. O'Toole tente manifestement de se rapprocher du centre afin de convaincre les électeurs qui votent habituellement pour le PLC et, surtout, ceux qui appuient le NPD. Erin O'Toole représente une circonscription située tout juste à l'est d'Oshawa qui était autrefois peuplée de travailleurs de la compagnie automobile GM. Le père de M. O'Toole a représenté la même circonscription en tant que député provincial de l'Ontario il y a plusieurs années. Le chef conservateur sait pertinemment que les travailleurs syndiqués ne votent pas systématiquement pour le NPD ou pour les libéraux simplement parce que les dirigeants syndicaux disent que c'est la bonne chose à faire.

Là encore, la période Harper a nui aux relations entre le Parti conservateur et les syndicats. Mais le Canada a beaucoup changé depuis 2015 : divers accords commerciaux (certains négociés sous une contrainte extrême) ont affaibli plusieurs industries (automobile, aluminium, agriculture). Les processus d'évaluation environnementale freinent le développement de grands projets. Et une pandémie a fait vaciller les économies mondiales.

Dans le cadre de cette élection visant à déterminer les prochaines étapes immédiates pour le Canada, les travailleurs sont inquiets pour leur avenir. Divers partis européens de centre droit ont réussi à tirer parti de la frustration des travailleurs face à une économie globale sans frontières et totalement intégrée, qui porte atteinte à leurs droits et étouffe leurs voix. Les sondeurs soulignent qu'un bon nombre d'électeurs de Bernie Sanders aux États-Unis ont également été sensibles aux politiques populistes de Donald Trump. Dans le contexte dynamique d'aujourd'hui, les dirigeants qui s'appuient sur les anciennes normes de l'échiquier politique le font à leurs risques et périls.

Le programme du Parti conservateur ne prévoit pas de réduction des effectifs de la fonction publique. Il ne préconise pas non plus un retour hâtif à l'équilibre budgétaire. Cependant, il prône la restructuration des entreprises afin de s'assurer que les pensions des employés figurent en tête de liste des mesures de protection, et s'engage même à forcer les employeurs sous réglementation fédérale comptant plus de mille employés ou ayant un revenu annuel de 100 millions de dollars à inclure une représentation du personnel à leur conseil d'administration. De telles mesures pourraient facilement figurer dans une plateforme du NPD.

Cette approche reflète possiblement le fait que les travailleurs d'aujourd'hui sont préoccupés par l’augmentation du coût de la vie et par l'accessibilité au logement et qu’ils veulent pouvoir subvenir aux besoins de leurs familles et avoir la certitude que leur employeur veille à leurs intérêts. Ce n’est plus toujours une question de droite ou de gauche pour les électeurs et le fait de les catégoriser ainsi ne reflète pas leurs réalités.

Ces efforts porteront-ils fruit? En fin de compte, la stratégie du Parti conservateur sera jugée en fonction des résultats qu'il obtiendra. S'il parvient à arracher 5 % aux libéraux et aux néo-démocrates, nous pourrions nous retrouver avec un nouveau gouvernement à l’issue de cette élection. Par contre, si les conservateurs ne parviennent pas à réaliser des gains en Ontario, ils risquent de se retrouver au purgatoire de l’opposition à nouveau.

L'équipe d'experts en affaires publiques de NATIONAL continuera de suivre de près ce dossier qui pourrait façonner les prochaines semaines de la campagne.

——— Tiéoulé Traoré était directeur, Relations gouvernementales au Cabinet de relations publiques NATIONAL