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À quoi s’attendre sur la scène politique fédérale canadienne en 2020?

Justin Trudeau at the NATO Leaders Meeting
Rédigé par
Tiéoulé Traoré

Tiéoulé Traoré

Alors que 2019 tire à sa fin, les deux premières semaines de travaux parlementaires à Ottawa ont donné un avant-goût de ce à quoi les Canadiens devraient s’attendre en 2020 – une année qui devrait être cruciale pour l’ensemble des partis qui façonnent la scène politique fédérale.

Un programme chargé pour le gouvernement libéral

Pressé par ses homologues provinciaux et territoriaux de renforcer l'unité nationale, le premier ministre Justin Trudeau consacrera probablement beaucoup d'énergie à faire émerger plus de consensus parmi les partenaires de la Confédération. Il a déjà posé quelques gestes importants pour maximiser ses chances de succès. À cet effet, le contenu des lettres de mandat du cabinet est plutôt révélateur.

Par exemple, la vice-première ministre et ministre des Affaires intergouvernementales Chrystia Freeland sera bien plus qu’une simple « numéro 2 » dans la nouvelle administration Trudeau; elle est maintenant une « super-ministre » à part entière, chargée de superviser le travail de tous les départements. Transferts en santé, assurance-médicaments, propositions de pipelines, changement climatique, Accord Canada–États-Unis–Mexique : Mme Freeland sera au centre de tous ces dossiers. Elle est sans aucun doute la meilleure négociatrice dans les rangs libéraux, comme en témoigne son pilotage du nouvel ALENA, une qualité qui devrait lui être utile alors que le gouvernement tente d'atténuer les tensions croissantes entre Ottawa et les provinces.

En ce qui concerne les lettres de mandat, les libéraux ont abandonné l’approche de « résultologie » adoptée lors du mandat précédent, qui consistait à présenter des rapports réguliers sur l'avancement des principaux engagements. Cette approche serait quasiment impossible à mettre en œuvre dans un contexte minoritaire, où les engagements de mandat doivent être considérés comme une feuille de route globale pour leur plan d'action, plutôt que comme une liste précise d’actions à réaliser. Le défi pour les libéraux sera de gouverner enjeu par enjeu, en tendant la main tant à gauche qu’à droite pour obtenir le soutien de l'opposition. Certains engagements seront laissés de côté dans ce processus, et des décisions politiques seront nécessaires de la part du bureau du premier ministre pour s’imposer dans certains dossiers ou choisir la voie de la moindre résistance dans d'autres. C'est la réalité d'un environnement minoritaire.

Le gouvernement Trudeau fera face à de nombreux risques, mais l'état de l'économie sera sans doute le plus important d’entre tous. Les rumeurs sur la possibilité d’une récession au Canada sont devenues plus fortes après la récente perte de plus de 70 000 emplois en novembre dernier. Un grand nombre de Canadiens sont inquiets de l'état actuel de l'économie et craignent que le Canada ne soit pas équipé pour faire face à un important ralentissement économique. Comment l'administration Trudeau pourra-t-elle les rassurer sur le fait que les dépenses importantes qu’elle s’est engagée à faire (qui ont effectivement élevé le déficit à plus de 150 milliards de dollars) permettront de réaliser des gains tangibles et protéger les Canadiens des effets d'une récession nationale ou mondiale?

Enfin, comment les comités parlementaires coopéreront-ils? Vont-ils même le faire? Les partis d'opposition détiennent désormais la pluralité des sièges, ce qui rend l'étude des projets de loi du gouvernement fastidieuse. Cette situation ralentira-t-elle considérablement le programme du gouvernement?

Le Parti conservateur en quête identitaire

L'élection amère qui a vu les conservateurs remporter le vote populaire, mais subir la défaite aux libéraux, a été suivie de querelles internes qui ont affaibli le leadership d'Andrew Scheer. Ébranlé par les attaques d’organisateurs politiques, d’anciens candidats, de groupes organisés et même de dignitaires du parti, sa démission soudaine le 12 décembre (quelques mois avant la révision obligatoire de son leadership) met fin à un mandat tumultueux à la tête du PCC. Son incapacité à profiter d'un chef libéral affaibli, combinée à ses faux-pas sur certaines politiques sociales controversées et à ses mésaventures personnelles, ne lui ont pas rendu service. Il restera cependant chef jusqu’à la fin de la course à la direction du parti.

En attendant son nouveau chef, le Parti conservateur siège toujours en tant qu’opposition officielle, un rôle d’autant plus crucial sous un gouvernement minoritaire. Cependant, les courses au leadership sont souvent une occasion de laver le linge sale en public. Le Parti conservateur parviendra-t-il à maintenir l’unité nécessaire pour exiger des comptes au gouvernement Trudeau? Et est-ce que le futur ex-chef Andrew Scheer pourra continuer à exercer ses fonctions avec le plein soutien de son caucus?

Les partis tiers confrontés à des questions importantes

Le Bloc québécois a bénéficié de sa symbiose idéologique avec le courant nationaliste renouvelé qui domine actuellement au Québec. Ce faisant, il a réussi à convaincre les Québécois de son allégeance aux politiques mises de l'avant par le premier ministre québécois François Legault et la Coalition avenir Québec. Cependant, les deux partis divergent sur plusieurs enjeux, particulièrement sur celui de la souveraineté. L'administration Legault veut travailler avec Ottawa, alors que le Bloc québécois a répété à maintes reprises qu'il n'a aucun intérêt à améliorer la Confédération. Ces opinions divergentes ont été exposées la semaine dernière, alors que la dernière version de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) venait d’être renégociée. L’accord a été fustigé par le Bloc, qui le considérait comme dommageable pour les secteurs de l’aluminium et de l’industrie laitière du Québec, tandis qu’il a été salué par le premier ministre Legault. M. Legault est même allé jusqu'à demander au chef du Bloc Yves-François Blanchet de ne pas retarder la ratification du nouveau traité. Cette dynamique sera à surveiller l'année prochaine.

Pour le NPD, l'année 2020 sera l’occasion de se réinventer et de reconstruire ses fondations par le biais de ses membres. Après avoir perdu près de 50% de son caucus, le parti a trouvé une mince consolation dans l’obtention de la balance du pouvoir au sein du nouveau Parlement. Les néo-démocrates travailleront probablement avec les libéraux pour faire avancer leurs intérêts communs… et approuveront donc, par le fait même, le programme du gouvernement. Le NPD pourra-t-il travailler efficacement avec le gouvernement lorsque nécessaire, tout en demeurant une opposition crédible sur d'autres dossiers? Et finalement, sera-t-il en mesure d’utiliser la personnalité plus grande que nature de Jagmeet Singh comme outil pour obtenir du financement et recruter de nouveaux membres?

Quant au Parti vert, il se retrouve, pour la première fois depuis des décennies, confronté à la perspective d'une vie sans Elizabeth May. Après une campagne décevante qui n'a mené qu’à la récolte de trois sièges, Mme May a annoncé sa démission début novembre. La cause environnementale est devenue une priorité pour des millions de Canadiens, mais cela ne s'est pas traduit par une percée des verts. Le futur leader saura-t-il insuffler un nouvel élan, ouvrant la voie à de futurs succès électoraux?

2019 a été une année chargée et remplie de rebondissements sur la scène politique fédérale. Les Canadiens semblent plus divisés que jamais, indécis entre la perspective de garder le cap ou celle d’aller dans une direction différente, et ayant plutôt opté pour une surveillance plus vigoureuse du gouvernement Trudeau. L’équipe de NATIONAL suivra de près la « nouvelle normalité » d’Ottawa en 2020.

——— Tiéoulé Traoré était directeur, Relations gouvernementales au Cabinet de relations publiques NATIONAL