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Le changement de rhétorique entourant l’immigration s’infiltrera-t-il dans l’élection fédérale?

Carrousel à bagages
Rédigé par
Ali Salam

Ali Salam

Dans l’histoire récente, les élections canadiennes ont tourné autour d’une variété d’enjeux : le libre-échange, l’économie, l’environnement, et bien sûr, les impôts. Dans certains cas, comme en 2000, en 2008 et en 2011, la seule question qui a semblé importer était celle du leadership.

S’il y a un enjeu qui est rarement au sommet des priorités, c’est l’immigration. Reste à voir si cela changera cet automne, mais une chose est sûre : les conditions sont certainement en place pour que cette question occupe une place important dans la campagne.

Selon les Nations Unies, on comptait en 2016 plus de 65 millions de réfugiés, de demandeurs d’asile et de déplacés à cause d’un conflit, de la famine ou d’autres facteurs, un sommet dans l’histoire de l’humanité (à titre comparatif, la Deuxième Guerre mondiale avait déplacé entre 11 et 20 million de personnes en Europe).

Bien que les mouvements de réfugiés passent principalement par des camps administrés par les Nations Unies, et que les personnes déplacées demeurent souvent à l’intérieur des frontières de leur pays (non par choix), « demandeur d’asile » est un terme avec lequel les Canadiens sont de plus en plus familiers – et pas nécessairement pour des raisons altruistes.

Les demandeurs d’asile, par définition, quittent leur pays en quête de protection pour fuir la guerre, la famine ou la pauvreté abjecte. Bien que la géographie du Canada ait historiquement limité les mouvements de masse comme ceux qu’ont connus l’Europe et l’Afrique à différents moments, les conditions régissant le comportement des demandeurs d’asile ont changé, tout comme le discours entourant la question au Canada.

En 2017, peu de temps après l’arrivée de Donald Trump à la présidence des États-Unis, son administration a mis en œuvre une série de mesures visant l’expulsion de plusieurs groupes de non-résidents du pays. Et de 2017 jusqu’à la fin de 2018, un grand nombre de personnes ont donc choisi de traverser les États-Unis jusqu’à la frontière canadienne, pour plutôt demander l’asile chez nous.

La grande majorité l’a fait au Québec, mais des mouvements ont aussi été observés au Manitoba et en Colombie-Britannique, dans une moindre mesure. Plusieurs des réfugiés ayant traversé la frontière au Québec ont continué leur chemin vers l’Ontario, rendant la situation d’autant plus complexe.

Quoique le nombre de demandeurs d’asile avait explosé dans un premier temps, le taux a diminué grandement depuis la fin de 2018. Le gouvernement fédéral a travaillé avec les gouvernements du Québec, du Manitoba et de la Colombie-Britannique (ainsi que dans certaines juridictions en Ontario, comme à Toronto) pour trouver un compromis et en venir à une entente mutuelle sur la question.

Toutefois, cet épisode a eu pour effet de provoquer un changement de ton en ce qui concerne l’immigration en tant qu’enjeu électoral, cette année et probablement dans le futur.

Voici quelques-unes des tendances à surveiller :

La vague anti-immigration

La rhétorique anti-immigration est loin d’être un phénomène nouveau en Europe et aux États-Unis, mais l’émergence de positions xénophobes dans le discours au Canada pose de nouveaux défis pour les politiciens. C’est particulièrement le cas pour le chef du Parti conservateur Andrew Scheer, qui devra composer avec des courants opposés.

D’un côté, M. Scheer voudra courtiser une part grandissante de la droite qui est non seulement contre les politiques actuelles du Canada en matière de réfugiés et de demandeurs d’asile, mais qui s’oppose aussi à pratiquement toute immigration non européenne. D’autre part, le soutien de ces groupes ethnoculturels – ceux-là mêmes qui sont dénigrés par la droite – a été essentiel au succès des conservateurs de Stephen Harper, et sera tout aussi crucial pour Andrew Scheer cet automne, particulièrement dans les régions clés que représentent les banlieues du 905 en Ontario et le Lower Mainland en Colombie-Britannique.

Cette situation représente un casse-tête qu’Andrew Scheer n’a toujours pas réussi à résoudre, et qui occupera sans doute l’équipe de campagne conservatrice d’ici l’automne.

Les dynamiques plus larges entourant l’immigration

On pourrait penser que cet enjeu soit une simple ballade au printemps pour le premier ministre Justin Trudeau et ses libéraux, mais détrompez-vous. Les contrecoups du débat entourant les demandeurs d’asile ne sont pas uniquement venus des « Canadiens de souche », mais aussi des nouveaux Canadiens.

Ces immigrants, provenant principalement du sous-continent indien, de la Chine et des Philippines (pour citer les groupes qui représentent les sources d’immigration les plus importantes au Canada), ont été irrités par l’arrivée de réfugiés qui, de leur point de vue, coupaient la file pour entrer au Canada, alors qu’eux avaient entrepris un processus beaucoup plus long pour être acceptés en tant qu’immigrants économiques.

Sans égard aux différences qui existent entre ces deux groupes (comme le fait que les demandeurs d’asile fuient généralement des persécutions mettant leur vie en péril), Justin Trudeau et son équipe ont du pain sur la planche pour gérer l’enjeu dans ces mêmes régions courtisées par Scheer.

Bien que la question des demandeurs d’asile soit sortie du débat public au cours des derniers mois en raison d’une diminution du flot de migrants, la rhétorique entourant cet enjeu au Canada semble avoir été affectée en partie par cet épisode.

Reste à voir quel sera son impact réel sur l’élection de cet automne. Toutefois, les observateurs politiques le garderont certainement en tête lorsqu’un parti cherchera désespérément à récolter des votes auprès du nombre apparemment grandissant de Canadiens pour qui l’immigration constituera un facteur au moment d’aller aux urnes.

NATIONAL surveillera attentivement l’évolution du débat entourant l’immigration durant la campagne. Nos experts sont à votre disposition pour discuter des impacts potentiels de ces tendances sur le marché du travail, le commerce international et le développement économique régional.

——— Ali Salam était vice-président principal, Affaires publiques au Cabinet de relations publiques NATIONAL