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Élection fédérale 2021 : une occasion ratée

Élection fédérale 2021 : une occasion ratée

Après n’importe quel important débat des chefs au niveau fédéral, la question d’usage est toujours « Qui a gagné? ». C’est inévitable.

Pourtant, du point de vue de NATIONAL, il est plus approprié, à la lumière du débat d’hier, de se demander qui a perdu. Et à cette question, la réponse est clairement les électeurs indécis.

Le débat aura au moins permis aux téléspectateurs d’avoir un aperçu des contrastes qui existent entre les cinq principaux chefs de parti. Ces détails sont parfois difficiles à déceler dans le cadre d’une campagne; c’est pourquoi les débats peuvent être des véhicules puissants pour communiquer des positions clés sur les défis auxquels le pays est confronté.

Il faudra attendre quelques jours pour que tout changement dans l’opinion publique soit perceptible. Mais en toute objectivité, ces deux heures de débat ont été tortueuses, parfois difficiles à regarder. Le débat a été marqué par des irritants communs en politique (interruptions, cris, réponses évasives), et les téléspectateurs ont à peine eu l’occasion d’évaluer les positions des chefs. L’atmospshère était un reflet parfait des derniers mois sur la Colline parlementaire : antagonique.

Les critiques du lendemain concernant la modératrice sont également justifiées. Son ton était hautement accusateur dès le départ. Les arbitres ne devraient pas être le centre de l’attention dans une partie de hockey – il en va de même pour les modérateurs lors d’un débat. Sans parler l’inclusion maladroite d’autres journalistes au fil de la soirée, qui n’a pas permis d’atteindre l’objectif de générer des débats entre les chefs sur des enjeux majeurs et leurs idées respectives.

Alors que l’apathie politique atteint des sommets (et alors que des segments de l’électorat deviennent de plus en plus radicalisés), ce débat donne l’impression d’une occasion ratée d’éduquer et de mobiliser les électeurs.

Alors, que dire de la performance des chefs hier?

  • Justin Trudeau était évidemment la cible principale tout au long de la soirée, attaqué de toutes parts par les quatre autres chefs sur son bilan. Il était définitivement sur la défensive. Globalement, il est parvenu à tenir bon, mais M. Trudeau a paru ébranlé une bonne partie de la soirée. Il a rarement été capable de rebondir sur les enjeux qu’il souhaitait mettre en lumière, et a rarement été en mesure de bien articuler sa perception de ses accomplissements. Il a été forcé de parer les « missiles politiques » qui lui étaient envoyés de part et d'autre, et certains ont touché la cible. La véritable mesure de ces impacts sera reflétée dans les sondages du week-end.
  • Erin O’Toole a été en mesure de bien articuler ses positions et même de montrer un côté plus authentique en admettant que le Parti conservateur avait failli à remplir les attentes des Canadiens sur des enjeux comme le changement climatique et la réconciliation. Il a poursuivi avec une présentation convaincante du plan de son parti pour s’attaquer aux enjeux liés au logement et à l’abordabilité. Il a réussi une bonne performance, mais continue d’être talonné sur son intention d’équilibrer le budget tout en augmentant les dépenses et sur sa position sur l’interdiction des armes à feu.
  • Jagmeet Singh a largement bénéficié de la plateforme d’hier. La transition du français vers l’anglais lui a permis d’exploiter ses forces, qui ont été particulièrement évidentes lors des échanges sur la réconciliation et les changements climatiques. Il a démontré une passion et un charisme qui lui manquaient dans les débats en français. Toutefois, des doutes persistent quant à la façon dont il prévoit remplir ses promesses généreuses du point de vue des dépenses. Et il faudra voir comment il réussira à maintenir ses appuis nationaux, compte tenu des efforts que les libéraux mettront à courtiser les électeurs progressistes dans les 10 derniers jours de l’élection.
  • Annamie Paul a offert une nouvelle perspective alors qu'elle se présentait à de nombreux électeurs. Elle a réussi à inscrire toutes ses interventions, quel que soit le sujet, dans une optique liée à la diversité et à l'inclusion. Elle a dominé la section sur les changements climatiques, mettant enfin en valeur le bilan et l'expertise de son parti dans ce dossier, et a peut-être été la critique la plus sévère de Justin Trudeau en matière d'égalité des sexes et de réconciliation. Elle a sans aucun doute saisi la chance qui lui était offerte. Mais elle n'a pas réussi à présenter un plan détaillé, sauf en ce qui concerne la lutte aux changements climatiques.
  • Yves-François Blanchet avait le moins à gagner : son parti ne peut pas gouverner le Canada, une nation qu'il ne considère pas comme la sienne. Toutefois, sa défense acharnée des intérêts du Québec en matière de laïcité de l'État et de promotion de la langue française – mise en évidence par une question plutôt controversée posée par la modératrice du débat – pourrait lui donner un élan au Québec et l'aider dans le cadre de sa campagne.

Les meilleures lignes du débat

« Je ne vais pas prendre des leçons de gestion de caucus de votre part. » (Justin Trudeau, faisant allusion aux querelles d'Annamie Paul avec son propre parti, après qu'elle l'ait accusé d'avoir mit en sourdine les voix des femmes influentes de son caucus)

« Vous ne pouvez pas poser un genou au sol un jour et poursuivre les enfants autochtones en justice le lendemain » (Jagmeet Singh en remettant en question l'engagement de Justin Trudeau en matière de réconciliation)

« Vous pouvez dire que ces lois sont discriminatoires. Nous affirmons qu'elles sont légitimes. » (Yves-François Blanchet en répondant à la question de la modératrice sur la légitimité de la loi 21 et de la loi 96 du Québec)

« Vous avez déclenché une élection au beau milieu des feux de forêt en Colombie-Britannique et d'une crise croissante en Afghanistan. » (Erin O'Toole à Justin Trudeau)

Implications pour la suite de la campagne

Il serait bien étonnant que ce débat ait fait tourner le vent dans quelque direction que ce soit. Ce débat qui ressemblait par moment à un interminable entretien d’embauche n’a pas permis aux Canadiens de déterminer qui mérite leur confiance. Les sondages continuent d'indiquer une course extrêmement serrée entre le Parti libéral et le Parti conservateur, alors que le NPD et le Bloc font respectivement des gains et s'accrochent à leurs sièges. Justin Trudeau et Erin O'Toole ont maintenant 10 jours pour tenter des approches ultimes qui résonneront enfin auprès des Canadiens et qui leur permettraient d’accéder au pouvoir.

Nous dirigeons-nous vers un autre gouvernement minoritaire? C'est possible. Mais il est trop tôt pour se prononcer, même en ce qui concerne cette éventualité. Ce qui est absolument certain, c'est que la dernière ligne droite de cette campagne sera cruciale et que tous les chefs chercheront à réparer les pots cassés du débat d'hier soir et à générer un dynamisme au cours des derniers jours de la campagne.

Nous continuerons à suivre les prochains jours de la campagne qui façonneront le nouveau paysage politique du Canada.

Consultez notre section spéciale Élection fédérale 2021 pour retrouver les plus récentes perspectives de nos experts.

——— Tiéoulé Traoré était directeur, Relations gouvernementales au Cabinet de relations publiques NATIONAL

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Rédigé par François Crête | Guillaume Normandin

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